16 03 2016

23/11/15 – Gérer le choc : six experts vous conseillent « Chacun, triste et sous le choc, raisonne avec son histoire personnelle, son environnement, sa sensibilité »

Les conséquences des attentats du 13 novembre dernier s’infiltrent inévitablement au sein des entreprises. Comment faire face ?

Ce qui se passe dans le monde du travail a une influence sur notre société, a coutume d’observer Marie Pezé, docteur en psychologie. L’inverse vaut également. Les attentats terroristes du 13 novembre dernier marquent durablement les esprits de quantité de salariés. Mais que faire ? L’entreprise, directement touchée, n’a pas à tergiverser. Tout un processus de commémoration et de rituel de deuil s’impose à elle. En revanche, celle indirectement impactée se demande comment réagir face à la forte charge émotionnelle suscitée par les tragédies. Paroles et conseils de six experts interrogés par « Les Echos Business ».

« Réagir dans un cadre à la fois élémentaire et structuré »

Marie Pezé

Docteur en psychologie et responsable du réseau de consultations Souffrance & Travail.

« Le réseau de consultations Souffrance et Travail dispose de cellules d’urgence et a mis en ligne un guide* relatif aux événements traumatiques », s’empresse d’indiquer Marie Pezé. L’ancien expert judiciaire et auteur de nombreux ouvrages sur la souffrance au travail n’a de cesse de rappeler que « le monde du travail, qui peut détruire la santé des salariés, contribue aussi à la construire. » Après des événements traumatisants, leur gravité à l’échelle nationale se répercute sur le tissu social avec un niveau maximal d’ébranlement de l’équilibre. Les angoissés sont plus angoissés, les déprimés plus déprimés et les phobiques encore plus phobiques. D’autres, pas forcément les plus fragiles, renouent avec des problématiques personnelles, souvent infantiles. Avoir la faculté de se rendre dans un lieu de solidarité et de socialisation est alors essentiel. « Pouvoir travailler a une fonction de pacification majeure, cela permet d’aller quelque part, d’avoir une activité structurée et de chasser les images traumatiques », éclaire la responsable du réseau de consultations Souffrance & Travail. « C’est aussi le moment de réactiver les rituels d’entreprise, de multiplier les pauses café, d’organiser un maximum de pots et de repas, etc. pour un effet prophylactique autour des choses les plus élémentaires comme parler, pleurer, avoir peur ensemble, puis… faire front ensemble », insiste Marie Pezé.

« Gérer l’émotion »

Eric Albert

Fondateur et président de l’Ifas

En ces circonstances, l’émotionressentie par les salariés et les dirigeants est à son comble. « Elle n’est évidemment pas rationnelle et guère anticipable », observe Eric Albert. « Chacun, triste et sous le choc, raisonne avec son histoire personnelle, son environnement, sa sensibilité. » Avec les événements externes traumatisants, les chocs émotionnels se cumulent. « Il revient à l’entreprise d’en tenir compte afin d’éviter, dans les cas les plus graves, l’épuisement émotionnel », prévient Eric Albert. Autre effet à ne pas sous-estimer : la peur. « Face à la peur, il n’y a plus de niveaux hiérarchiques, tout le monde est susceptible de la ressentir », assure le psychiatre, qui cependant observe combien ces périodes-là réactivent les moments de solidarité et de soutien social et permettent aux gens d’affronter la situation. « Ce type d’événement externe choque, traumatise, abat. Mais le plus frappant, dans les réactions collectives, c’est le gonflement du sentiment d’appartenance nationale – observez tous ces jeunes Français, volontaires pour s’engager dans l’armée – et une très puissante envie collective de faire front et de réagir ensemble. » Pour preuve, depuis le 13 novembre, nombre de salariés interrogent leurs directions des ressources humaines afin de bénéficier de formations de secouriste.

« Parler peu, mais juste »

Catherine Blondel

Conseillère de dirigeants (Vis-à-Vis Dirigeants)

« Une prise de parole d’une figure d’autorité a des vertus apaisantes, à condition qu’elle sache trouver la bonne distance », avertit Catherine Blondel. Cette dernière s’est vite retrouvée en contact avec des dirigeants de secteurs particulièrement touchés par les attentats, la communication, le conseil, les banques. Des responsables qui ont dû accompagner tout un mouvement de solidarité. « Il y a une attente de paroles qui, dans un même mouvement, reconnaissent une souffrance et affirment que la vie continue », assure l’experte formée à la psychanalyse et partisane d’un « parler peu mais parler juste ». Le plus délétère, d’après elle ? « Quand chacun y va de son petit commentaire… L’entreprise se doit de prendre garde à cela », souligne la consultante qui conseille d’éviter coûte que coûte les prises de position brutales, les attitudes figées ou, au contraire, les propos à l’emporte-pièce.

« Guetter les signaux d’alerte »

Bénédicte Haubold

Fondatrice d’Artélie Conseil

« Chaque individu a des besoins très variés. Certains ne voudront pas en parler, d’autres demanderont quelques jours de repos… L’entreprise doit aller au-devant de chacun, sans être ni intrusive ni paternaliste », explique Bénédicte Haubold. « Selon les cas et de manière subtile, il convient d’organiser, pour les personnes qui ont vécu très intensément ces événements, des débriefings post-traumatiques dans les dix jours après le choc. » Si tel n’était pas le cas, juge l’experte, des séquelles psychologiques pourraient voir le jour et seraient néfastes, à terme, aux salariés et donc à l’entreprise. Autre point : il est important de guetter les signaux d’alerte – repli, anxiété, manque de concentration, désengagement… – susceptibles de traduire une faille psychologique, notamment chez des personnes qui ont été fragilisées, dans leur passé, par un événement traumatique. « Il en va de sa capacité à garantir, à court et moyen terme, l’implication des salariés et donc la pérennité de son activité », assure Bénédicte Haubold.

« Passer aux actes… citoyens »

Hélène Chappé

Coach de dirigeants indépendante

Après une communication très sobre de la direction générale, destinée à partager la douleur des éventuelles victimes ou covictimes, il importe de rapidement passer des paroles aux actes, car les paroles peuvent vite assourdir. « Privilégier, dans un second temps, un acte de solidarité fort, en interne, permettrait à chaque salarié d’être fier de son entreprise », suggère Hélène Chappé. Cet acte peut, selon l’experte, se concrétiser sous la forme d’une aide, matérielle ou humaine, apportée à une personne touchée, un engagement auprès d’une association du quartier impactée par les attentats… « Il est important de laisser l’initiative aux salariés et de ne pas imposer quoi que ce soit. Et attention : sur cet acte citoyen, l’entreprise ne devra pas chercher à capitaliser en externe. Cela pourrait être très mal interprété. »

« Assumer une dimension protectrice »

Xavier Alas Luquetas

Président d’Eleas

« Impossible d’adopter une attitude « business as usual ». L’entreprise doit préserver ses collectifs de travail en assumant, comme toute organisation, sa dimension protectrice », juge Xavier Alas Luquetas. Rappeler aux salariés l’existence de tous les dispositifs de prévention des risques psychosociaux existants en interne et mobiliser le médecin du travail et l’assistante sociale est primordial. Quant à l’encadrement, il se doit d’être plus présent qu’habituellement aux côtés des équipes. « Et même auprès de certains prestataires ou partenaires afin d’éviter, au-delà des logiques de solidarité, les effets de ricochet des impacts négatifs », assure Xavier Alas Luquetas. Ce soutien – dans le respect de la confidentialité et la liberté des personnes d’accepter d’être aidées ou non – est essentiel pour préserver et restaurer l’état psychique des salariés.

Des limites s’imposent toutefois. « Si des dispositifs de soutien via des numéros verts ou des entretiens en face à face peuvent être organisés, hors de question pour elle de glisser vers des démarches psychothérapeutiques », avertit le consultant. Les salariés les plus directement impactés devront être réorientés vers leur médecin traitant, voire vers des centres médico-psychologiques.

 

 

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