Article paru le 16 février 2017, sur Le Monde.fr
Certains jeunes diplômés surinvestissent leur travail au point de mettre en danger leur équilibre personnel et de développer une dépendance.
Le sac de Marjorie ne contient pas que ses outils de travail. Entre son téléphone professionnel, son ordinateur, ses billets de train et d’avion, elle emporte aussi… un livre sur la pleine conscience. Pour cette digital manager qui carbure jusqu’à onze heures par jour, il est devenu nécessaire de prendre du recul sur son travail. « J’ai essayé de me fixer quelques limites : ne plus travailler en dehors des horaires, ni dans les trains ni les avions. Je consulte toujours mes mails à l’extérieur, mais j’essaie d’éviter d’y répondre autant que possible », explique la jeune femme. En temps de repos, il n’est pas toujours simple de se déconnecter du travail : « Dans certains cas, il m’est de toute façon impossible de penser à autre chose tant que je n’ai pas réglé la préoccupation que j’ai en tête. »
« Comme la précarité touche de plus en plus de jeunes, il y a un attachement plus fort au travail », explique Marc Loriol, sociologue et chercheur au CNRS, spécialiste de la fatigue et du stress au travail. Loin des idées reçues, les jeunes générations se surinvestissent aussi au boulot, au point de ne plus savoir s’arrêter. Ce comportement, désigné par le terme de « workaholisme », « se caractérise par une compulsion à y consacrer toujours davantage de temps et d’énergie au détriment d’autres activités et de sa santé physique et psychique », décrit Alexis Peschard, directeur associé de GAE conseil, un cabinet spécialisé dans la gestion des addictions en entreprise.
Cette addiction est encore mal reconnue. Aucune définition médicale ne la qualifie à ce jour. Dépister ces cas est d’autant plus difficile que l’effort au travail est valorisé dans la société. Pourtant, « c’est un motif très fréquent de consultation », explique le docteur Michel Lejoyeux, chef de service du département de psychiatrie et addictologie à l’hôpital Bichat.
Conduisant au surmenage, il se traduit par des manifestations physiques telles que les troubles du sommeil, l’hypertension, les maux de tête et les douleurs physiques. « Le travail agit comme un faux euphorisant parce que toutes les autres valeurs fondamentales de la vie vont finir par disparaître », détaille le psychiatre.