« La reprise d’activité implique de résoudre un certain nombre de difficultés et la plus grosse est d’instaurer la confiance des salariés. C’est un défi pour les représentants du personnel et les employeurs », déclare François Cochet, directeur des activités Santé au travail chez Secafi, dans un entretien à News Tank le 07/05/2019.
« Des branches et des entreprises ont déjà associé leurs syndicats à leur protocole de reprise et, parfois, signé des accords à l’unanimité des OS. La DGT, destinataire de ces documents, confirme que plus ces travaux sont concertés entre les partenaires sociaux, plus ils sont pertinents. Ils sont pragmatiques, prennent en compte les réalités du terrain et sont, donc, de nature à rassurer les travailleurs concernés. »
« Le débat avec le CSE doit porter à la fois sur :
– l’hygiène,
– les conditions de travail- la situation économique.
Il faut que la reprise soit légitime, que les travailleurs comprennent pourquoi il est nécessaire de reprendre leur activité. Si on ne s’occupe que du volet “hygiène” , la reprise sera ratée. »
« Depuis la mise en place des CSE, les représentants du personnel sont moins nombreux sur le terrain, parfois inexistants dans certaines zones de travail alors que la sortie du confinement demande d’aller analyser poste de travail par poste de travail. Après une telle crise, il faut absolument que les entreprises :
– rouvrent les négociations sur le CSE,
– redonnent des moyens aux CSSCT,
– développent le réseau des représentants de proximité,
– leur donnent des prérogatives en termes de santé au travail.
Ces questions devraient être traitées en premier dans l’ordre du jour des CSE. »
« Nous allons peut-être assister à une fuite en avant vers l’automatisation car les robots ne craignent pas les virus. L’autre risque c’est l’éclatement des équipes si le télétravail n’est pas rapidement encadré par des accords qui en limitent les abus. Si, demain, les employeurs se mettent à fermer leurs locaux pour gagner des mètres carrés en élargissant le télétravail à domicile, nous nous retrouverons avec des risques majeurs de perte de compétences et d’isolement social. »
Quel est votre avis sur le protocole de déconfinement pour les entreprises publié par le ministère du Travail le 03/05/2020 ?
François Cochet : Le point le plus intéressant c’est de rappeler que les règles d’organisation collective doivent être privilégiées et que le port de l’équipement individuel n’arrive qu’en dernier. Cela relativise la question des masques qui a polarisé le débat dans l’opinion publique.
Ce protocole sera d’une certaine aide dans les entreprises, en complément des fiches sectorielles produites par le ministère du Travail et qui sont très utiles. Ce document rappelle des principes, donne des points de doctrine, par exemple sur la « jauge ». L’autre point positif est le fait de contrer certaines fausses bonnes idées, comme la prise de température systématique à l’entrée d’un site. Mais le protocole n’aborde pas la question du dialogue social qui est fondamentale. En toute hypothèse, l’essentiel se jouera sur chaque site lors de l’évaluation de chaque situation de travail.
La reprise d’activité implique de résoudre un certain nombre de difficultés et la plus grosse est d’instaurer la confiance des salariés. C’est un défi pour les représentants du personnel et les employeurs.
Comment les entreprises envisagent-elles le retour de leurs salariés ?
FC : Pendant ce confinement, la situation des salariés a été variée. Pour certains, l’expérience a été pénible et ils souhaitent en sortir et reprendre leur activité. D’autres, en fonction du niveau d’informations dont ils disposent sur l’épidémie, de leur situation personnelle et de celles de leurs proches qui peuvent avoir une santé fragile, ont peur de revenir au travail. Certains devront prendre les transports en commun, d’autres pourront s’en abstenir. L’employeur doit prendre en compte la situation individuelle de chacun et la perception individuelle de chaque salarié. Les entreprises ne sont pas habituées à tenir compte de cette diversité.
Quel est votre regard sur le décret du 02/05/2020 qui adapte l’information-consultation du CSE et les éventuelles expertises ?
FC : Ce décret rappelle très utilement que les conditions de reprise sont soumises à l’information-consultation du CSE et il propose des délais dérogatoires. Il rappelle le droit du CSE de se faire assister par un expert dans ce cadre avec un délai raccourci de 11 jours. Bien entendu, tous – le CSE, l’employeur et l’expert – devront faire preuve de bonne volonté pour tenir un tel délai. Nous observons tous les jours que les entreprises qui ont tout de suite associé les IRP à la crise et à leur réflexion sont systématiquement gagnantes. A contrario, celles qui ont essayé de se passer d’elles ou d’agir dans leur dos sont perdantes. La caricature c’est le groupe Amazon, condamné deux fois, en première et deuxième instances, à la fois pour l’insuffisance des mesures de précaution mais principalement pour le défaut d’information-consultation du CSE. Des branches et des entreprises ont déjà associé leurs syndicats à leur protocole de reprise et, parfois, signé des accords à l’unanimité des OS. La DGT, destinataire de ces documents, confirme que plus ces travaux sont concertés entre les partenaires sociaux, plus ils sont pertinents. Ils sont pragmatiques, prennent en compte les réalités du terrain et sont, donc, de nature à rassurer les travailleurs concernés.
Le décret a repris toutes les étapes classiques d’une expertise et en a réduit systématiquement les délais, parfois de façon un peu caricaturale. Indiquer qu’un employeur dispose de 24 heures pour contester l’expertise, alors que la justice ne fonctionne pas, est un peu surréaliste. Les entreprises et le CSE vont avoir besoin d’aide dans le processus de concertation. Les CSE sont confrontés à des questions très difficiles et bien sûr nouvelles. En s’adressant à des experts habilités par le ministère du Travail, ils ont la garantie d’un conseil professionnel sur les problématiques de santé, de sécurité et d’hygiène, mais aussi pour bien comprendre les enjeux économiques. Notre rôle n’est pas de “certifier” un processus de reprise. Il est d’aider les parties à se comprendre, à se poser les bonnes questions, à trouver la bonne méthode. Il s’agit d’accompagner un processus de dialogue social, dont la « remise d’avis » du CSE n’est qu’une étape. En droit, un avis négatif du CSE n’empêche pas l’entreprise de mettre en œuvre son projet. Pour autant, un employeur qui voudrait passer en force et lancer les opérations avec un avis unanimement négatif de ses syndicats prendrait un risque énorme. La très grande majorité des entreprises en ont parfaitement pris conscience.
Les entreprises vont reprendre seulement une partie de leurs activités, rouvrir certains sites. Ce qui sera déterminant, c’est l’analyse qui sera faite de cette première étape avec les représentants du personnel et avec les salariés eux-mêmes, avant d’envisager la seconde étape. Celle-ci sera alors évaluée de la même façon avant d’envisager une troisième étape…
Comment se préparer au poids grandissant du volet hygiène ?
FC : Les aspects de prévention de la contagion doivent être pris en compte. La difficulté sera de mesurer aussi les effets des mesures d’hygiène sur les autres risques présents dans l’entreprise, pour chaque situation de travail. Dans beaucoup d’entreprises, le bruit, par exemple, est un facteur de risque important et une source de pénibilité. Avec les mesures de prévention de l’épidémie, il se peut que les salariés, éloignés les uns des autres et portant un masque, ne s’entendent plus, ce qui peut être à l’origine d’accidents. Si certaines opérations doivent se réaliser à deux, pour des questions de coordination, de coopération, de force physique à moins d’un mètre de distance, il faudra apporter des réponses dans ces situations concrètes au plus près du terrain.
Il faut définir des règles, un processus, un fonctionnement pour qu’ensuite, tout le monde soit associé à la réflexion sur sa propre situation de travail pour trouver de meilleures solutions. Il faudra aussi un processus pour les évaluer et les corriger de manière rapide. Dans les entreprises qui réussiront cette concertation inédite sur le travail, les bénéfices iront bien au-delà de la prévention de l’épidémie. J’ai la conviction qu’elles y trouveront la clé d’une meilleure qualité de vie au travail mais aussi de plus d’efficacité. Et d’autres difficultés, latentes et maltraitées, trouveront des solutions innovantes. Dans l’industrie, par exemple, les pauses périodiques pour aller se laver les mains permettront peut-être de diminuer les risques de TMS. Plus les entreprises, les IRP, et les salariés réfléchiront à leur façon de travailler pendant la crise sanitaire, mieux ils amélioreront leur travail de demain.
Le débat avec le CSE doit porter à la fois sur :
– l’hygiène,
– les conditions de travail
– la situation économique.
Il faut que la reprise soit légitime, que les travailleurs comprennent pourquoi il est nécessaire de reprendre leur activité. Si on ne s’occupe que du volet “hygiène” , la reprise sera ratée.
Quelles entreprises accompagnez-vous pour la reprise d’activité ?
FC : Quelques entreprises étaient parties sur la même trajectoire que le groupe Amazon, avec une menace de recours en justice.
Les syndicats ont fait le forcing pour être associés aux décisions et la demande d’un appui de Secafi, acceptée par l’employeur, a permis de se remettre autour de la table. Dans d’autres cas, nous intervenons dans des contextes plus apaisés au sein desquels notre rôle consiste à favoriser une approche systémique, à éclairer les décisions que les parties elles-mêmes vont devoir prendre ensemble. L’intervention d’un tiers de confiance permet de réguler et de définir des étapes progressives avec un appui méthodologique.
Quels changements voyez-vous suite à cette crise ?
FC : La situation est paradoxale. Nos concitoyens n’ont jamais autant parlé des conditions de travail et des situations de travail depuis le 15/03/2020. On mesure pleinement l’impact de la disparition des CHSCT alors que tous les observateurs conviennent que la reprise de leurs prérogatives par les CSE est rarement un succès. La question de la prévention doit impérativement s’inviter au cœur de la stratégie des entreprises.
Depuis la mise en place des CSE, les représentants du personnel sont moins nombreux sur le terrain, parfois inexistants dans certaines zones de travail alors que la sortie du confinement demande d’aller analyser poste de travail par poste de travail. Après une telle crise, il faut absolument que les entreprises :
– Rouvrent les négociations sur le CSE,
– Redonnent des moyens aux CSSCT,
– Développent le réseau des représentants de proximité,
– Leur donnent des prérogatives en termes de santé au travail.
Ces questions devraient être traitées en premier dans l’ordre du jour des CSE.
La question de l’occupation des espaces de travail, en particulier les open-space, mais aussi la volonté de regrouper tous les services des grandes entreprises dans des sièges sociaux dans les mêmes quartiers desservis par des transports de masse, vont devoir être complètement repensés à l’aune des règles de distanciation sociale.
Voyez-vous aussi des risques post-crise ?
FC : Nous allons peut-être assister à une fuite en avant vers l’automatisation car les robots ne craignent pas les virus. L’autre risque est l’éclatement des équipes si le télétravail n’est pas rapidement encadré par des accords qui en limitent les abus.
Si, demain, les employeurs se mettent à fermer leurs locaux pour gagner des mètres carrés en élargissant le télétravail à domicile, nous nous retrouverons avec des risques majeurs de perte de compétences et d’isolement social.
Pensez-vous que l’automatisation du métier de caissières, considéré comme essentiel aujourd’hui, pourrait s’accentuer après la crise ?
FC : Cela serait une injustice historique de les récompenser de leur engagement en supprimant leurs postes mais il est malheureusement plausible que des entreprises y pensent sérieusement.
Quelle sera l’évolution des RPS suite à cette crise sanitaire ?
FC : Ce serait une grave erreur de se polariser sur l’épidémie en oubliant les RPS. Du jour au lendemain, 10 millions de salariés se sont retrouvés en télétravail, la plupart sans l’avoir jamais pratiqué. Cette expérience laissera des traces. Ceux qui habitent loin de leur travail étaient condamnés aux transports en commun. Si, demain, ceux-là sont contraints à un télétravail systématique, leur situation psychologique peut se dégrader très vite. À une mauvaise installation matérielle dans un logement inadapté vont venir s’ajouter des tensions familiales, un sentiment d’isolement, celui de ne plus « être dans le coup », un désarroi croissant à ne plus savoir vers qui se tourner en cas de difficultés.
L’expérience brouillonne de télétravail confiné doit être décantée, examinée et évaluée. Les syndicats devront procéder à une évaluation du télétravail dans leur entreprise et proposer des négociations qui tiendront compte des enseignements, bons ou mauvais, de cette période.
Source : Article paru le 7/05/2020, sur le site RH.NewsTank.fr
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