Le cofinancement de l’expertise du CSE sur les projets importants
Décidé par les ordonnances Macron, le cofinancement des expertises du CSE sur les projets importants de l’entreprise est un obstacle à l’exercice du droit des représentants du personnel. Plusieurs cas de figure doivent être envisagés dont un où l’employeur devra régler la totalité des honoraires de l’expert.
Avant les ordonnances Macron, le CHSCT pouvait faire appel à un expert dans deux cas principaux : d’une part, en cas de risque grave, d’autre part, lorsque l’employeur le consultait sur un projet important modifiant les conditions de travail. Cette prérogative est transférée au comité social et économique (CSE) mais le législateur a introduit une modification importante. Dans le deuxième cas, l’expertise est « cofinancée » ; le CSE règle 20 % de la facture de l’expert sur son budget de fonctionnement.
UNE VOLONTÉ DE LIMITER DES ABUS…
Les promoteurs de ce dispositif ont mis en avant deux arguments. Le premier a consisté à affirmer que les comités d’entreprise (CE) étaient loin de dépenser la totalité de leur budget de fonctionnement et que leurs réserves accumulées pouvaient être mieux utilisées à cette fin. Pour autant, aucune étude sérieuse n’est venue documenter ce point. Le second argument s’inscrit dans une philosophie de « ticket modérateur ». Les CHSCT auraient abusé de leurs droits parce qu’ils ne payaient rien et ils seraient plus « raisonnables » s’ils devaient payer une partie.
Auparavant, dans une entreprise multi-établissements, les CHSCT étaient strictement indépendants les uns des autres et il n’existait pas d’instance centrale en charge des questions de santé, sécurité et conditions de travail. Aussi, lorsqu’un projet important concernait plusieurs établissements, il pouvait arriver que plusieurs CHSCT déclenchent en parallèle des expertises sur un même projet. C’est pour régler ce problème que la loi relative à la sécurisation de l’emploi (L. n° 2013-54, 14 juin 2013, dite loi Sapin) a inventé l’instance de coordination des CHSCT (ICCHSCT), une instance mise en place de façon provisoire et à l’initiative de l’employeur, pour piloter une expertise unique. Il n’y avait donc déjà plus aucun moyen de mener plusieurs expertises sur un même sujet en parallèle sauf, bien sûr, à ce que l’employeur ait renoncé à mettre en place une ICCHSCT.
Dans des cas isolés, certaines pratiques très marginales avaient aussi pu être observées : des CHSCT utilisaient leur demande d’expertise à des fins dilatoires pour bloquer des projets de réorganisation. Il faut s’interroger sur la raison d’être de ces pratiques dilatoires. Certaines entreprises présentent des projets « bouclés et verrouillés » et recueillent l’avis obligatoire de l’instance dont ils se désintéressent souvent, que celui-ci soit positif ou négatif. Et aucune proposition ou demande d’évolution du projet formulée par les représentants du personnel ne trouve grâce à leurs yeux. Ceux-ci sont alors frustrés de ne pouvoir exercer un minimum d’influence sur des projets qui impactent directement leur travail. Leur seul levier reste donc le calendrier qu’ils essaient alors de retarder. A contrario, les entreprises qui accordent de l’importance à cette consultation, avec la conviction que recueillir l’avis de « ceux qui font » est utile à « ceux qui conçoivent », ne sont pas victimes de pratiques dilatoires parce qu’elles offrent d’autres marges de manœuvre au dialogue social. En toute hypothèse, plusieurs dispositions législatives sont intervenues pour rendre vaines ces pratiques dilatoires avec des délais d’information-consultation très stricts à l’issue desquels l’avis est « supposé rendu » et considéré comme négatif (L. n° 2013-504, 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi, puis L. n° 2015-994, 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite Rebsamen).
… QUI N’EXISTAIENT DÉJÀ PLUS
Outre que les interstices dans lesquels certains CHSCT avaient parfois pu s’inscrire sont colmatés depuis longtemps, il convient aussi de rappeler que les CHSCT n’ont pas la main pour déclencher des expertises à leur convenance. C’est l’employeur qui décide d’engager un projet important qui va bouleverser les conditions de travail de ses salariés parce qu’il l’estime utile à sa stratégie et à la bonne organisation de son entreprise. Le Code du travail lui fait alors obligation de consulter son CHSCT, désormais son CSE, et la demande d’expertise n’est que la réaction à une information consultation. Si le projet n’est pas important, nul n’a l’obligation de consulter et il n’y a pas d’expertise. A contrario, si le projet est important, il faut consulter et l’éventuelle expertise qui en découle n’est que l’exercice d’un droit, sans abus possible.
Nous voyons bien alors que l’objectif affiché n’en était plus un, puisque déjà atteint. Force est alors de constater que l’objectif réel était plutôt de limiter fortement l’exercice concret d’un droit que par ailleurs on prétendait ne pas avoir touché dans son principe. Une estimation récente du SEA-CHSCT (Syndicat des experts agréés du CHSCT) considère que les demandes d’expertise sont en baisse d’environ un tiers en 2019 sans que l’on puisse affirmer que la tendance soit stabilisée.
LE COFINANCEMENT EST UN VÉRITABLE OBSTACLE À L’EXERCICE DU DROIT
Dans le contexte de mise en place des CSE, les syndicats sont sur la défensive. Certes, les promoteurs des ordonnances vantent un modèle où tout serait possible par la négociation là où l’application stricte de la loi réduit fortement les moyens de la nouvelle instance2. Tous les observateurs de la vie sociale convergent dans leur appréciation : pourquoi les employeurs négocieraient-ils des projets ambitieux alors que la seule application de la loi leur permet la plupart du temps d’atteindre leurs objectifs ?3
Dans ce contexte morose, nombre de représentants du personnel considèrent que le droit à l’expertise est devenu fictif puisqu’ils n’ont pas les moyens de payer leur part.
Il est vrai que le budget de fonctionnement de l’instance s’est déjà vu grevé de nouvelles dépenses sur la période récente. Par exemple, depuis 2015, si le budget cumulé des œuvres sociales et du fonctionnement dépasse 153 000 euros, le CE doit s’attacher à ses frais les services d’un expert-comptable.
Avec les ordonnances, le regroupement des prérogatives du CHSCT et du CE dans le CSE s’est accompagné aussi d’une réduction de fait de ses moyens de fonctionnement. En effet, le fonctionnement du CHSCT était à la charge de l’employeur (le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail reçoit de l’employeur, […], les moyens nécessaires à la préparation et à l’organisation des réunions et aux déplacements imposés par les enquêtes ou inspections, C. trav., art. L. 4614-9) : déplacements des membres, documentation et moyens de communication, rédaction des procès-verbaux des réunions, honoraires d’avocat, etc. Désormais, ces coûts sont à la charge du budget de fonctionnement du CSE4.
Avec la mise en place du CSE, on sait que le nombre des représentants du personnel a diminué, ainsi que leurs crédits d’heures, alors même que leurs prérogatives et leurs responsabilités n’ont pas diminué. Dans ce contexte, ils cherchent à mieux s’organiser. À cet égard, nous observons un net mouvement en faveur de plus de sous-traitance de certaines tâches, par exemple la rédaction des comptes rendus d’instance. Ce qui vient à nouveau grever leur budget de fonctionnement.
Dans ce contexte, nombre de représentants du personnel au CSE considèrent qu’ils ne peuvent plus recourir à l’expertise et que le transfert de prérogatives du CHSCT au CSE n’est qu’un marché de dupes. Mais un examen plus poussé offre peut-être d’autres perspectives.
Pour mieux comprendre les effets possibles du cofinancement sur l’expertise projet important, il faut distinguer plusieurs cas de figure5.
CERTAINS CSE ONT DES MOYENS INUTILISÉS
Commençons par le cas de figure qui correspond au modèle implicite du législateur : le CSE qui dispose d’un large excédent de son budget de fonctionnement. Celui-ci trouve enfin une occasion de dépenser ses réserves et participe sans problème au financement. En réalité, ce cas de figure se retrouve souvent dans des entreprises plutôt prospères et où peu de situations ont pu justifier le recours à des besoins de conseil pour les représentants du personnel. A contrario, dans les entreprises en difficultés, les représentants du personnel ont beaucoup plus de besoins. Ils vont être logiquement preneurs d’une aide de leur expert-comptable pour analyser les orientations stratégiques. L’entreprise va devoir engager des projets lourds de réorganisation pour lesquels ils auront recours à un expert habilité pour examiner les conséquences sur les conditions de travail. Enfin, la situation peut justifier qu’ils déclenchent une procédure de « droit d’alerte ». Autant de missions d’expert qu’ils doivent désormais cofinancer ! Là où les besoins sont les plus criants, les réserves risquent donc d’être vite épuisées.
LE CAS D’UN CSE AUX MOYENS MANIFESTEMENT INSUFFISANTS
Venons-en maintenant au cas plus fréquent du CSE dont le budget ne lui permet pas de participer au financement de l’expertise demandée. Le processus législatif a envisagé ce cas tardivement lorsqu’il est apparu évident que certains CSE, en particulier ceux concernant des métiers à bas salaire, n’auraient jamais les moyens de cofinancer des expertises auxquelles ils ont pourtant droit. Le texte a donc acté que « toutes les expertises habituellement en cofinancement sont financées à 100 % par l’employeur quand le budget de fonctionnement du CSE est insuffisant » (C. trav., art. L. 2315-80)…