Chronique publiée dans Actuel RH – 29/06/21
Le CSE, la CSSCT, les éventuels représentants de proximité ont hérité des prérogatives autrefois dévolues au CHSCT en matière de santé au travail. Sont-ils parvenus à s’en emparer ?
La réponse est complexe pour plusieurs raisons. La première tient à l’immense diversité des « systèmes productifs » qui doivent être couverts. Concentration géographique ou dispersion des salariés, travail en journée ou posté, variété étendue ou restreinte des métiers, histoires singulières de chaque firme et de chaque territoire. La deuxième tient aux dispositions législatives elles-mêmes qui ont laissé une place, bornée mais réelle, à la négociation pour préciser le rôle et les attributions de chacun. Et la troisième tient à la crise sanitaire qui, d’une part, a forcé à un fonctionnement distanciel des instances et, d’autre part, a polarisé sur la question de l’épidémie elle-même.
Actuellement, comme peu d’évaluations existent, les « ressentis » occupent le terrain. Le retour le plus entendu concerne la gestion de la crise sanitaire pour laquelle, assez souvent, des formes efficaces de dialogue social ont fonctionné sur un sujet qui concerne, en premier chef, la santé. Nombre de DRH en décrivent les caractéristiques : un rythme très soutenu, souvent quotidien au démarrage, hebdomadaire ensuite, des modalités distancielles, souvent avec un seul interlocuteur, le secrétaire du CSE, parfois avec un groupe restreint, des modalités d’information fluides, des consultations certes informelles mais à l’issue desquelles le point de vue de l’autre est réellement pris en compte, parfois des formes de codécision.
Avant de faire de ce ressenti la preuve de l’efficience du nouveau cadre du dialogue social, prendre du recul s’impose. Ce moment magique du dialogue social doit s’analyser comme une situation très particulière au cours de laquelle employeur et représentants du personnel devaient faire face à une menace extérieure vis-à-vis de laquelle ils étaient également incompétents. Ce contexte relève donc de « l’union sacrée » avec son corollaire : la suspension de la démocratie !
Si le code du travail a prévu que les personnels soient toujours représentés par plusieurs élus du personnel, c’est pour que le dialogue social embrasse les différents points de vue, les différents métiers, les différentes situations. Et dès lors que l’on revient aux sujets plus ordinaires, une diversité de points de vue s’exprime bien légitimement, chacun défend ses intérêts. Et la question de l’efficience des nouvelles instances retrouve sa pertinence dans le contexte de retour à la normale auquel nous aspirons tous.
Lorsqu’on leur demande si les nouvelles instances se sont valablement emparées des problématiques de santé au travail et de prévention, nombre d’observateurs du fonctionnement récent des CSE sont pessimistes et mettent en avant les constats suivants, issus d’expériences récentes :
- Parmi plus de 30 secrétaires de CSE d’établissement d’une grande entreprise nationale, pas un n’était auparavant membre d’un CHSCT.
- Trop souvent, les présidents de CSE passent la main à un « second couteau » dès que l’on aborde les « sujets CHSCT ».
- Les CSSCT sont devenues des instances au sein desquelles on ne prend plus de décision, où on « papote », réduites de plus en plus à préparer des sujets pour des CSE encombrés qui ne s’en emparent pas.
- Nombre d’entreprises ont fait le choix de supprimer les instances locales, comités d’établissements, CHSCT et DP au profit d’un CSE unique entraînant de facto un éloignement du terrain.
- Lorsqu’il n’y a pas de représentants de proximité, les difficultés en termes de santé restent au niveau individuel, ne sont pas repérées comme des sujets collectifs, mûrissent, pourrissent lentement. Et elles se manifesteront plus tard par des crises non régulées, des drames, des demandes multipliées de dédommagement financier via les tribunaux.
Bien entendu, ces constats pessimistes sont à nuancer et il faut aussi garder une certaine indulgence tant la période que nous venons de vivre est à trop d’égards atypique. N’oublions pas que certains DRH n’ont encore jamais vu « en vrai » tout ou partie des membres de leur CSE ! Le retour en présentiel doit aussi concerner les instances. Les DRH les plus chevronnés savent ce qu’ils perdent de finesse relationnelle et de compréhension globale de leur CSE avec des réunions exclusivement en visioconférence.
Dans une démarche qu’il faut saluer, le législateur a installé une commission d’évaluation des ordonnances, dont la logique voudrait qu’elle conduise à prendre des mesures rectificatrices, sauf à imaginer que son bilan soit uniquement positif. Il nous semble que les entreprises devraient s’inspirer de cette approche et engager l’évaluation de leur situation propre. C’est le bon moment pour le faire. Beaucoup d’entreprises arrivent à mi-mandat. Elles auront le temps de faire évoluer leurs accords de dialogue social pour les améliorer avant la mandature suivante.
Idéalement, cette évaluation devrait se faire en paritaire, employeurs et représentants du personnel définissant ensemble les indicateurs à prendre en compte et les critères d’évaluation. S’ils souhaitent l’aide d’un conseil, le mieux est d’écrire ensemble le cahier des charges et de procéder alors à un choix concerté.
Pour lancer cette évaluation, quelques pistes méthodologiques très concrètes peuvent être proposées à titre d’illustrations :
► Une analyse des ordres du jour permet de compter les sujets santé au travail et de calculer leur proportion rapportée à l’ensemble des sujets tels qu’ils sont prévus lors de la préparation des réunions par le président et le secrétaire. Combien de sujets de ce type ont-ils été portés à l’ordre du jour sur initiative des représentants du personnel ? Quelles réponses leur ont-elles été apportées ?
► L’identification du temps passé effectivement en réunion sur ces questions est possible en mesurant la place laissée par chacune dans les PV des instances. Sans oublier de regarder les points reportés d’une séance à la suivante, faute de temps pour les traiter.
► Le constat d’une délégation ponctuelle du président de l’instance est aussi un indicateur des priorités qu’il se fixe.
► L’articulation effective du travail de la CSSCT et du CSE constitue un indicateur éclairant, selon une typologie possible de situations :
- La CSSCT instruit un sujet et le CSE décide en s’appuyant sur ses travaux ;
- Le sujet est débattu au CSE comme si la CSSCT n’avait pas déjà traité le point ;
- La CSSCT prépare des sujets qui ne passent jamais au CSE faute de temps ;
- Etc.
► Une analyse fine du rôle et de la place des suppléants. Quelle a été leur présence dans l’instance, a priori seulement en remplacement des titulaires, sauf accord plus favorable ? Sont-ils intervenus ? Sur quels sujets ?
D’autres questions peuvent encore être posées. Combien de représentants du personnel ont-ils bénéficié de la formation en santé au travail ? Combien d’inspections ou d’enquêtes ont-elles eu lieu ?
A partir du recueil de ces indicateurs, et de la mesure de leur évolution dans le temps, l’idée serait que la direction et les représentants du personnel se livrent à une analyse de ce qui a bien fonctionné avec, comme critère essentiel, les effets positifs en termes de prévention et de santé au travail. A contrario, repérer les sujets sur lesquels on s’est contenté de bavarder sans avancer, ou les sujets qu’il aurait fallu aborder mais qui ne l’ont pas été, permettrait aux différentes parties de prendre du recul et, le cas échéant, de renégocier les accords de dialogue social pour mieux embarquer ces problématiques.
Nous voyons bien sur le terrain que, très souvent, les employeurs et les représentants partagent la préoccupation de faire œuvre utile en matière de prévention. Leurs débats portent principalement sur les moyens, ce qui est tout à fait légitime. Mais, en mesurant factuellement l’usage qu’ils font de leurs moyens, ils pourraient aussi gagner en efficacité. Par exemple, la qualité de l’information fournie aux représentants du personnel va leur permettre d’utiliser efficacement leurs heures de délégation. Trop de débats interminables sur les risques psychosociaux reposent sur des ressentis ou des témoignages parcellaires alors que des démarches d’enquêtes bien conduites permettent de dresser une cartographie précise de la situation et d’agir à bon escient.
Alors que les négociations de mise en place du CSE ont souvent été frileuses parce que chacun se méfiait de ce saut dans l’inconnu, cette évaluation doit permettre d’être plus audacieux. Et face à la peur de prendre des risques, pourquoi ne pas expérimenter avec des initiatives à durée déterminée pour lesquelles prévoir une évaluation rigoureuse est la condition de l’acceptabilité.
De telles démarches permettent d’aller plus loin parce que la méthode même d’évaluation et d’expérimentation crée une meilleure confiance entre les parties et donne la possibilité d’aborder des sujets difficiles autrement que sous la pression des événements. C’est justement parce que les questions de santé au travail sont essentielles que les entreprises doivent aussi innover dans la façon de les aborder.